samedi 21 décembre 2019

La pollinisation manuelle en Chine: Une mystification apido-médiatique française

 Les médias (1) reprennent à satiété l’histoire des pommiers et poiriers chinois pollinisés manuellement par des ouvriers et ouvrières agricoles.
Encore une fois, après l’histoire de la phrase d’Einstein sur les abeilles (i), il s’agit d’une mystification. 


Dans une zone reculée du Sichuan au sud de la Chine, les agriculteurs pollinisent les pommiers et poiriers à la main, souvent dans des positions acrobatiques ou en costume traditionnel. Mais cette pollinisation manuelle n’est pas due seulement à un manque d’insectes pollinisateurs, comme les medias françaises s’évertuent à nous le faire croire sans, comme souvent, vérifier leurs sources.

 Les abeilles n’ont pas du tout disparu de cette zone de pollinisation manuelle et de nombreux producteurs de fruits ont aussi leur propre rucher pour leur production de miel. La pollinisation manuelle en Chine est plus dictée par des raisons économiques et liée à la biologie de ces rosacées fruitières que par un manque prononcé d’abeilles.

Au début des années 1990, les producteurs des régions himalayennes ont réalisé que pommes et poires peuvent être des cultures de rente importantes. Leur région est montagneuse et difficile à cultiver, et ces arbres fruitiers sont particulièrement adaptés à ces conditions.
Un changement majeur s’est opéré dans ces régions en passant d’une agriculture de subsistance à une agriculture productive. Le résultat a été surprenant puisque les revenus dans certains secteurs ont été quadruplés. Ces revenus ont, pour la plupart d’entre eux, permis d’envoyer les enfants à l’école ou de financer des routes. Fort de ces succès, les producteurs se sont vite rendu compte que certaines variétés se vendaient mieux que d’autres.

Dans ces conditions, les nouveaux vergers ont été implantés utilisant un nombre très restreint de variétés et ce fut le début des difficultés. Et un peu de biologie est utile pour comprendre le phénomène : Les variétés de pommier et de poirier sont très majoritairement auto-incompatibles. C'est-à-dire que les fleurs d’une variété (qui constitue en réalité un clone) doivent être pollinisées par le pollen issu des fleurs d’une autre variété: c'est ce qu'on appelle la pollinisation croisée. 


Pour une avoir bonne pollinisation croisée, il faut qu’il y ait compatibilité entre les deux variétés : elles doivent fleurir à la même époque et que le pollen de la variété pollinisatrice soit compatible avec les stigmates des fleurs de la variété de production.
Il est donc nécessaire de planter à proximité de la variété de production des arbres d’une variété pollinisatrice compatible. Les arbres des deux variétés ne doivent pas être placés à plus de 100 mètres de distance au grand maximum. En général, la proportion d’arbres pollinisateurs dans un verger est autour de 1 à 3 pour 10 arbres de la variété de production.

Il s’agit donc d’une décision économique : plus il y a d’arbres pollinisateurs, et moins il y a d’arbres de production de la variété souhaitée. Et la proportion d’arbres pollinisateurs plantée dans cette vallée du Sichuan est bien trop faible, d’où la nécessité d’une pollinisation manuelle complémentaire.

Par ailleurs, comment expliquer cette soi-disant disparition des abeilles domestiques quand la Chine est le plus gros producteur de miel au monde.
Et le dernier rapport de l’action COST Coloss (2) rapporte que 3090 apiculteurs chinois représentant 2,4% des 6 millions de colonies nationales ont répondu à l’enquête sur les pertes de colonies et le résultat est édifiant : 10,1% de mortalités hivernales, soit un taux considéré comme proche d’une mortalité naturelle normale.

Norman Carreck, directeur de l’IBRA (3) commente: « Pour la première fois, nous avons une bonne image des pertes de colonies en Chine, le plus grand pays apicole du monde.
D’autres études nous diront pourquoi les pertes paraissent relativement faibles alors qu’elles sont plus élevées ailleurs. » Il serait bon que ces informations soient largement diffusées pour qu’enfin le public ne soit plus pris pour des gogos…


André Fougeroux relu par Bernard Vaissière (i)

Berenbaum M. 2007. Buzz-Wörter. Ann. Entomol. 53 :68-69.
(1) http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/04/23/dans-les-vergers-du-sichuanles-hommes-font-le-travail-des-abeilles_4405686_3244.html; http://www.maxisciences.com/abeille/abeille-en-chine-des-hommes-font-le-travaildes-pollinisateurs-disparus_art32446.html; Coloss : Prevention of COLony LOSSes (http://coloss.org/)

(2) N.Carreck; in American bee journal Octobre 2016 [IBRA = International Bee Research Association, 18 North Road, Cardiff CF10 3DT ROYAUME UNI (http://www.ibra.org.uk).

(3) Carreck N. Winter losses of China's honey bee colonies are low. Am. Bee J. 156:1079





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